Influence et manipulation
A la lecture de ce titre, vous vous posez probablement la question : « Ça ressemble à de la manipulation, non ? Ce n’est pas sympa de faire ça ! »
Oui, et non.
Oui ça ressemble à de la manipulation. C’est de l’influence. Et je nuancerai votre réticence en citant Alex Mucchielli : « Toute communication constitue une tentative d’influence ».
Non ce n’est pas dégueulasse si on reste éthique, que chacun y trouve son compte, et comprend les impacts des idées proposées. C’est précisément la différence entre manipuler et influencer : l’intention dans l’utilisation des techniques (prise de contrôle d’une personne ou d’un groupe contre aide et progression.)
Si je fais le parallèle avec Star Wars, la Force est l’outil; le côté obscur ou clair, l’intention.
Ainsi, pour faire passer des idées, je vais vous parler de techniques qui vous aideront à influencer les bonnes personnes.
Pour ce faire, commençons par la base, en nous appuyant sur la modélisation: je vais vous parler brièvement de théorie des systèmes car elle permet de saisir l’intérêt de ce que nous allons voir après.
Modéliser des systèmes simples pour prendre de bonnes décisions
Modéliser des systèmes pour prédire les comportements
Un peu de théorie
Un système est un ensemble de composants interconnectés travaillant ensemble dans la réalisation d’un objectif, régi par des règles établies.
Il existe toute sorte de systèmes : techniques, informatiques, mécaniques et bien évidemment humains.
Les systèmes ne sont que des représentations de l’esprit humain, ils modélisent la réalité de façon intelligible pour l’Homme.
Cette modélisation est une approximation de la réalité. Retenez bien cela, car il s’agit d’un point crucial.
Le but de cette modélisation est de permettre de prendre des décisions adaptées pour que le système réagissent de façon voulue.
Elle est basée sur l’approche scientifique, analytique qui pourrait se résumer en « les mêmes causes ont les mêmes conséquences« .
Exemple: passage à l’achat d’un siège auto enfant
Je prends l’exemple d’un prospect souhaitant acheter un siège auto pour son premier enfant. Le vendeur peut modéliser le système passage à l’achat en s’intéressant :
- aux besoins de cette personne
- à ses contraintes (son porte-monnaie).
Système passage à l’acte : le produit répond à ses besoins ET le prix est inférieur à l’enveloppe du prospect, alors le passage à l’acte a lieu, et le vendeur pourra toucher sa commission. Simple, non ?
Il s’agit d’une simplification de la réalité, qui ne prend pas en compte tous les paramètres (relationnel avec le vendeur, comparatif de prix en amont, etc…) mais qui est suffisamment proche de la réalité pour être utilisée et avoir des résultats prévisibles.
Exemple de deux versions, pour influencer ou manipuler
Au vendeur de comprendre les besoins de son client potentiel, et de lui proposer le siège adapté en lui communiquant les informations attendues, voire en lui parlant de son expérience personnelle… il influence alors son client. Chacun ressort gagnant de la transaction.
S’il ce vendeur avait déjà choisi le produit pour son client (le plus cher) tout en mentant, ou omettant des informations, et que le passage à l’achat avait eu lieu… il aurait manipulé son client. Seul le vendeur ressort réellement gagnant, le client aurait pu être mieux conseillé.
Application au monde professionnel
Un cas simple: dans une PME de 5 personnes, en tant que commercial, vous souhaitez avoir une augmentation de 5%. Sur la dernière année, vous avez surperformé en élargissant le carnet de commandes, et contribué à vous seul à une augmentation des bénéfices nets de la société de 20%. La société concurrente connait votre valeur, et s’est déjà rapprochée de vous.
Vous connaissez le chef d’entreprise personnellement, et savez qu’il est le seul à décider des revalorisations salariales. La modélisation du système « Préparer mon augmentation » est alors simple, car :
- tous les paramètres factuels sont connus
- tous les acteurs décideurs sont connus
La stratégie est claire pour faire passer votre idée :
- présenter les faits frontalement, au patron avec le bénéfice quantitatif apporté à l’entreprise,
- présenter les risques encourus en cas d’insatisfaction (aller chez le concurrent)
Mais qu’en est-il lorsque la situation n’est pas aussi simple ? Que les acteurs ne sont pas connus, ou pour lesquels vous ne pouvez leur parler directement ?
Environnements complexes : quand modéliser des systèmes n’est plus pertinent
Complexité, approches analytique et systémique
Dans la section précédente, je parlais de l’utilité de modéliser des systèmes, et en particulier des systèmes simples, car ils se rapprochent fortement de la réalité, en proposant un modèle valide, prévisible et fiable grâce à une approche scientifique analytique.
Si je vous demande de modéliser un système météorologique pour avoir les prévisions fiables des 30 prochains jours… bon courage 🙂
Pour ce faire, il faudrait un nombre de paramètres actualisés en temps réel juste démentiel, des équations de dynamique des fluides et de thermodynamique plus précises que celles dont nous disposons actuellement. Bref, on essayerait de modéliser plus simplement un système tellement complexe qu’on aurait un système peu fiable, non prévisible et donc non utilisable.
Ce qui m’intéresse ici (et le but de l’article) n’est bien évidemment pas la complexité de la dynamique des fluides, mais la complexité des rapports humains, en particulier quand de nombreuses personnes font partie de ce système.
Il est inutile de chercher à comprendre en profondeur comment un système fonctionne (approche analytique), mais plutôt comment le faire aller dans la direction voulue en essayant des choses, avec des actions ciblées sur une petite partie du système (système plus grand modélisé de façon très macroscopique), prendre du feedback (boucle de contrôle) et continuer petit à petit en agissant sur les relations (approche systémique).
La complexité nécessite donc de changer d’approche (troquer l’approche occidentale avec l’analytique contre une approche plus orientale, systémique).
Dans les grandes entreprises, où décideurs, processus et jeux de pouvoirs sont légions, l’environnement, et la modélisation du système « faire passer mes idées » sont complexes, et nécessitent l’utilisation d’outils et techniques adaptées, dérivées de l’approche systémique.
Le stakeholder mapping, pour comprendre les forces en présence et les leviers à disposition
Le stakeholder management et en particulier le mapping est l’outil adapté pour vous aider à faire passer une idée en entreprise (nouveau produit à lancer dans lequel vous croyez, recrutement de nouveaux profils, revalorisation salariale, etc…) et ce, afin de la concrétiser 🙂
En français, on parlera plutôt d’outil d‘analyse des détenteurs d’enjeux.
Le principe est simple, sur une matrice avec pour premier axe la puissance de l’acteur (pouvoir décisionnel) et pour second son intérêt, le but est de positionner chaque personne dessus, pour réaliser des actions d’influence adaptées, pour que l’idée prenne, voire même pour que votre idée semble provenir des autres.
01. Lister les acteurs en présence
Listez si possible tous les acteurs principaux concernés par votre idée. Par acteurs principaux, j’entends :
- les décisionnaires (D) – les personnes à convaincre
- les personnes avec un intérêt positif (I+) – les alliés
- les personnes avec un intérêt négatif (I-) – les opposants, à rassurer ou contenter
02. Les catégoriser par adoption supposée de votre idée
Les acteurs principaux étant connus pour cette première version de votre stakeholder mapping, vous devez alors les positionner sur la matrice.
Il est inutile de trop se poser de questions, la classification est faite selon votre vision, et, comme nous le verrons juste après, ce travail sera actualisé au fur et à mesure que vous comprendrez mieux le système.
03. Prévoir un plan d’action
On va noter 4 catégories de personnes, et utiliser la loi de Pareto pour maximiser nos impacts tout en minimisant nos efforts en nous focalisant sur les personnes les plus à même de provoquer le dénouement « heureux ».
Intérêt faible | Intérêt élevé | |||
Pouvoir faible | Effort minimal | À garder informés | ||
Pouvoir élevé | À garder satisfaits | Acteurs clefs |
Avant tout, pensez à lister également toutes les contraintes à prendre en compte, de façon à ce que ce que vous voulez faire passer n’aille pas à l’encontre de « règles de la nature » (processus, architecture d’entreprise, règles de sécurité, législation, etc…)
Avoir des discussions avec les acteurs clefs peut être compliquée:
- Ils n’ont pas de temps à vous consacrer
- La différence de hiérarchie est un frein
- Vous n’avez pas de bon rapport avec eux,
- etc…
Votre plan d’action pour promouvoir votre vision dépendra alors de l’environnement et de votre relation avec chaque acteur :
- Contact direct, frontal en communication tête à tête avec certains
- Animations & évènements pour gagner en visibilité, et de nouveaux alliés / porte-paroles – ciblés (résultat attendu spécifique) ou non (rendre la vision populaire)
- Détecter les alliés et personnes de confiance des acteurs clefs (à rajouter alors dans la stakeholder map) et réaliser des opérations d’influence (direct / indirect cf les points précédents)
- Etc….
En fonction de la nouvelle macro-compréhension de l’environnement ou d’acteurs clefs non identifiés initialement, reprenez la première étape, positionnez les acteurs sur la carte, et révisez votre plan d’actions.
Le fonctionnement du modèle « Faire passer mon idée » n’est pas connu dans les détails : il devient cependant plus fiable au fur et à mesure des actions prises sur une petite portion du modèle (ici, certains acteurs).
Enfin, vous êtes le seul à même de savoir si les actions prises auront un impact positif: testez, regardez l’effet, et ajustez !
Et je ne peux que vous conseiller, dans toutes vos actions visant à influencer de rester intègre, bienveillant, tout en respectant le point de vue et la position de l’autre (votre action aura d’autant plus d’effet si elle sert aussi un de ses besoins/objectifs).
En résumé
Pour faire passer une idée, en fonction de la complexité de la situation, vous choisirez :
- Dans le cas simple : de modéliser la situation en utilisant une approche raisonnée et analytique, vous permettant de définir et mettre en oeuvre une solution ayant de grandes chances de marcher
- Dans le cas complexe : de lister les acteurs, processus et contraintes et de faire un plan d’actions visant à influencer les personnes clefs via des techniques directe ou indirecte, via l’utilisation d’une cartographie des détenteurs d’enjeux, et de boucles de rétroaction pour naviguer à vue.
Pour aller plus loin
Quelques ressources intéressantes: